L’apparition de Saint Joseph

Récit

Le 21 février 1660, Gaspard Ricard, un jeune berger, était très probablement parmi la foule des habitants de Cotignac qui ont eu la joie d’accueillir le roi Louis XIV. Ils ont le même âge, 22 ans. À peine quatre mois plus tard, le 7 juin, jour même où Louis XIV et Marie-Thérèse, l’infante d’Espagne, passent la frontière pour aller se marier, notre jeune berger est en train de garder son troupeau sur le mont Bessillon à 3 kms et demi du lieu d’apparition de Notre Dame de Grâces en 1519. Il est environ une heure de l’après-midi, sous une chaleur torride. Notre jeune berger est couché à terre, accablé de chaleur et mourant de soif. Un vénérable vieillard de belle stature lui apparaît et lui dit en provençal : « Iéu siéu Jousè ; enlevo-lou rouca e béuras. » (« Je suis Joseph, soulève ce rocher et tu boiras. ») La pierre indiquée est lourde. Huit hommes auront du mal à la déplacer le soir même. Gaspard hésite mais Joseph réitère son ordre. Notre jeune berger soulève alors le rocher, dévoilant ainsi une source à laquelle il s’abreuve. 

Vers trois heures de l’après-midi Gaspard déboucha sur le « cours » (grand place) de Cotignac et annonça la nouvelle. Les habitants viennent nombreux découvrir cette source donnée par saint Joseph. 

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Cet évènement se propage comme une traînée de poudre et l’on constate que cette eau guérit de la fièvre, du mal des yeux et de bien d’autres infirmités. Huit jours après l’apparition, le consul de Cotignac et son conseil se voient obligés d’encadrer ces foules et de tenir les registres des dons qui y sont faits. Ceux-ci seront destinés à la construction d’une chapelle. Le 9 août, soit deux mois après, on bénit la pose de la première pierre. Les consuls de Cotignac payèrent un costume à Gaspard Ricard et il reçut la mission d’accueillir les pèlerins qui affluaient.1

La construction de la chapelle est déjà achevée en octobre suivant. Rapidement trop petite, on en met une plus vaste en chantier dès 1661 ; elle sera dans le style local de l’époque dénommé roman provençal. C’est le Sanctuaire consacré en 1663, celui que nous voyons aujourd’hui avec sa poutre de gloire portant le texte du Prophète Isaïe si évocateur en ce lieu : « Puisez avec joie aux sources du Sauveur » (Is 12, 3), « Haurietis aquas in gaudio de fontibus Salvatoris ».

Le 31 janvier 1661, monseigneur Zongo Joseph Ondedei, évêque de Fréjus, écrit une belle lettre aux Oratoriens de Notre-Dame de Grâces pour leur confier le lieu de l’apparition de Saint Joseph :

Ladite terre de Cotignac, dans laquelle, outre les grâces qu’il répand en l’honneur de la très sainte Vierge, Mère de son fils Notre Seigneur Jésus Christ, il a voulu depuis peu en répandre encore de nouvelles en l’honneur de son père putatif saint Joseph, par la fontaine qui a été découverte dans les terres gastes dudit lieu de Cotignac pour ne séparer point dans la dévotion des fidèles les deux saintes personnes qu’il avait jointes sur la terre pour le mystère de notre salut. Nous, voulant suivre, pour le culte dudit glorieux saint Joseph, notre patron et pour l’administration de la chapelle bâtie en son nom, les voies que la divine Providence nous a marquées et ne séparer point les choses qu’elle a voulu unir, nous avons cru ne pouvoir mieux confier l’administration de la chapelle de l’époux qu’à ceux qui s’acquittent si bien de celle de l’épouse.

Cotignac devient ainsi lieu d’apparition de la Sainte Famille.

« À la sollicitation de sa mère, Anne d’Autriche, de son épouse, l’infante Marie-Thérèse d’Espagne, et suite à l’apparition de Saint Joseph à Cotignac, Louis XIV invite les évêques français à faire chômer, à partir du 19 mars 1661, et ce chaque année, la fête de saint Joseph. La décision fut adoptée le 12 mars. »2
Ce fut en quelque sorte le premier acte officiel du règne de Louis XIV. Il donnait à cette Fête le rang de solennité, répondant ainsi à la demande du Pape exprimée déjà quarante ans plus tôt pour l’Église universelle. Certains ont affirmé qu’en cette heureuse circonstance Louis XIV aurait consacré la France à saint Joseph, mais ce n’est pas vraiment documenté. Ce qui est sûr c’est que le 19 mars 1661 « Bossuet prononce devant la reine Mère, son deuxième panégyrique à saint Joseph, au Faubourg Saint-Jacques, dans la chapelle des Carmélites, qui se termine par ces phrases : ̏ Joseph a mérité les plus grands honneurs, parce qu’il n’a jamais été touché de l’honneur ; l’Église n’a rien de plus illustre, parce qu’elle n’a rien de plus caché. Je rends grâce au Roi d’avoir voulu honorer sa sainte mémoire, avec une nouvelle solennité.̋ »3

Contexte et signification

Nous avions vu que le contexte religieux significatif des apparitions de Notre Dame de Grâces est celui de la naissance du protestantisme. Celui de l’apparition de saint Joseph est par contre l’émergence du jansénisme. Les Oratoriens du Sanctuaire Notre-Dame de Grâces eux-mêmes furent jansénistes, même si ce jansénisme était heureusement mitigé et adouci par la dévotion à Marie.

Le jansénisme est une réalité complexe qui aura des aspects d’abord religieux mais ensuite aussi politiques. Gabriel Henri Blanc en donne une description pertinente, en s’appuyant sur Louis Cognet (1917-1970), docteur en théologie :

C’est dans une nouvelle conception, sinon vision de cet incommode sujet : grâce – libre arbitre que surgit le jansénisme. Il aggravait encore les thèses augustiniennes (de saint Augustin), se rapprochait dangereusement du calvinisme, laissait l’homme dans une déchéance impuissante, à la merci de la grâce ou du péché. Avec, de plus, un fond d’austérité et de rigueur morale visant surtout le laxisme des jésuites qui, nés avec les temps nouveaux issus de la Renaissance, s’en étaient comme imprégnés, et dont la tactique était, et fut toujours, d’esquiver les affrontements avec les doctrines, les courants de pensées des plus ou moins hérétiques, aux plus antagonistes du catholicisme, et encore de composer relativement avec eux afin de mieux pouvoir les conduire, ou s’en défendre. Enfin l’accent était mis sur le nécessaire dépouillement du culte touchant les dévotions et à la Vierge Marie et aux Saints.4

Il faut ajouter à ces traits caractéristiques du jansénisme celui d’une opposition au Pape et à son Magistère qui prendra clairement position contre le jansénisme.5
Ainsi ce dernier est marqué par un éloignement de l’Eucharistie, de la Vierge Marie et du Pape, successeur de Pierre. Éloignement dramatique de la communion avec ce que saint Jean Bosco appellera les trois Blancheurs et qui forment le « cœur » de l’Église catholique, la « source » inépuisable du nouvel ordre de relations familiales inauguré par Jésus.

Le jansénisme se présente ainsi comme une tentative erronée de réforme catholique en réponse à la réforme protestante (contexte de 1519) par une austérité qui durcit le cœur en s’éloignant des sacrements (notamment l’Eucharistie) et de la miséricorde divine. Saint Joseph donne une source d’eau sur laquelle on inscrira « Puisez avec joie aux sources du salut » (Isaïe 12, 3). Ce sont les premiers mots de l’encyclique de Pie XII sur le Sacré-Cœur (en latin : Haurietis aquas). Seule la source d’eau vive du Cœur de Jésus (Jn 7, 35-37) pourra convertir le cœur de pierre du roi (« enlève ce rocher ») en cœur de chair 6 et lui donner d’aimer vraiment son épouse fidèlement. Saint Joseph prépare ainsi le cœur du Roi à la demande de Paray-le-Monial à travers sainte Marguerite-Marie en 1689. Le Sacré-Cœur demande que Louis XIV, pour sa réelle conversion, consacre sa personne et son royaume au Cœur de Jésus, mette ce Cœur sur ses étendards et fasse bâtir un édifice publique où il soit honoré (ce sera bien plus tard le sens de la construction de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre). Cette demande du Cœur de Jésus est présente dans une lettre de sainte Marguerite-Marie datée du 17 juin 1689. Louis XIV ne répondra malheureusement pas à cet appel. Cent ans, jour pour jour, après c’est le déclenchement de la Révolution française.

Le roi Louis XIV n’ayant dramatiquement pas répondu à cet appel vital du Sacré-Cœur, Jésus nous enverra son « Ange », sa Messagère, à Fatima en 1917 comme ultime planche de salut. Il y a en effet un parallèle frappant entre les apparitions du Cœur de Jésus à Paray-le-Monial et celles du Cœur de Marie à Fatima. Jésus demande à Louis XIV de se consacrer à son Cœur et de lui consacrer la France. Marie demande au Pape, en union avec tous les évêques, de consacrer la Russie à son Cœur Immaculé.7

Joseph touche la question du mariage alors que son épouse avait touché celle, aussi si attaquée aujourd’hui, de la procréation (Enfant-Jésus dans ses bras et intercession pour la conception de Louis Dieudonné avec consécration de la France à Marie). La Sainte Famille nous apporte le « remède » pour sauver le trésor si menacé qu’est la famille.

Notes de lecture

1-LOUIS-MARIE DE FRILEUSE, Les apparitions de la Sainte Famille à Cotignac, Éd. Association des Pèlerins de Notre-Dame de Grâces, 2019, p. 45.

2- LOUIS-MARIE DE FRILEUSE, Les apparitions de la Sainte Famille à Cotignac, Éd. Association des Pèlerins de Notre-Dame de Grâces, 2019, p. 47.

3- Ibid.

4- GABRIEL HENRI BLANC, Histoire religieuse de Cotignac, Imprimerie Rimbaud, Cavaillon, 1986, p. 90.

5- Notamment le Pape Innocent X avec la bulle Cum Occasione du 9 juin 1653, portant condamnation de l’Augustinus, l’œuvre de Jansen. Cf. GABRIEL HENRI BLANC, Histoire religieuse de Cotignac, Imprimerie Rimbaud, Cavaillon, 1986, p. 92.

6- Ez 36, 25-27 : « Je vous aspergerai d’une eau pure, et vous serez purs ; de toutes vos impuretés et de toutes vos saletés je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau, et c’est un esprit nouveau que je mettrai au-dedans de vous ; j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit au-dedans de vous, et je ferai que vous marchiez suivant mes décrets, que vous observiez e exécutiez mes règles. »

7- Voir l’onglet : un lien étroit avec l’histoire de France.